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De mon voyage

De mon voyage, j'emporte avec moi une photo que je n'ai pas prise: le regard d'un couple complice après tant d'années ensemble, leur sourire devant la cheminée de leur demeure ancestrale et leurs mots qui redonnent vie à ceux qui sont partis;
J'emporte avec moi la fraîcheur de la cascade qui vient baigner mon visage et emporter avec elle mes angoisses et mes peurs;
J'emporte avec moi le bleu pastel d'un atelier et du regard de son artiste, la bienveillance de sa belle compagne, nos mots échangés comme autant de pansements aux blessures de mon coeur, je vous revois devant votre vitrine, beaux comme deux solides piliers qui murmurez au monde la joie d'aimer;
J'emporte avec moi la danse d'une jolie Rose- petite créature heureuse qui tournoie dans l'eau avec la légèreté et la grâce d'une fée;
J'emporte avec moi le rire d'un poète gascon et la gentillesse de sa muse, douce infirmière pour les  âmes abandonnées;
J'emporte avec moi le regard du luthier sur son violon couleur d'or, la passion pour son métier d'une violoncelliste anglaise, les jolies mains d'une femme peintre dont les bagues à chaque doigt ne brillent pas autant que ses yeux de braise qui semblent me crier "Ose toi aussi, crée! N'aie pas peur";
J'emporte avec moi les belles demeures en pierre au milieu des collines et des vignes, tous les vestiges d'une splendeur passée, le vertige de la montagne et le don qui m'a été donné de me nourrir de sa beauté, les virages, la peur du vide à moitié surmontée, un petit visage qui boude comme un petit nuage noir au milieu d'un ciel bleu retrouvé;
J'emporte avec moi la jeunesse d'une belle photographe à la voiture jaune qui monte sans peur jusqu'au col de Sarenne, d'un motard aux yeux pétillants qui reste maigre malgré sa combinaison en cuir rembourrée et des enfants jamais fatigués même après des heures de marche;
J'emporte avec moi le courage de ceux qui n'ont pas peur de traverser le torrent sur une poutre  ni de se suspendre dans le vide pour monter plus haut dans la montagne ni de descendre à toute vitesse à vélo ou en voiture ni d'affronter la vie;
De mon voyage, j'emporte avec moi les yeux noirs de mon frère et de ma soeur, nos conversations, nos fous rires, nos délires, nos conneries et nos confidences, le rosé-pamplemousse, la porte coulissante de la salle de bain, ces putains d'escaliers en bois, Rodin, le petit balcon toujours ensoleillé où j'ai aimé étendre le linge, les couchers de soleil à la petite table ronde sur la terrasse du jardin, les enfants redécouvrant la terre, la cueillette des haricots verts, les chants et le battement des mains enfantines au bord du torrent, les oeufs durs, les compotes et les petits fromages pour les pique- niques, les fleurs alpines au mois de juin, la voix de ma soeur qui m'enseigne leur nom, les tourtons du marché et le rire contagieux de leur vendeur, les volets que j'ouvre chaque matin qui donnent sur la montagne et les toits de lauze du village, les noisettes du café de Paris, le génépi, les téléphones posés, les clés perdues, les oublis, les gros mots appris par les filles,  l'organisation à la J. ,les croissants du matin, la confiture d'abricot, Marie-Francine, toute la bonté reçue, notre complicité.
J'emporte avec moi, un pont en bois qui nous rappelle Madison et nous fait rêver de Clint Eastwood, le doux sentiment d'être acceptée et aimée pour ce que je suis et que vous veillez toujours sur moi. La vendeuse moustachue au marché de la volaille, en revanche, je la laisse volontiers là où elle est, assise sur sa chaise,l'oeil méchant, elle aboie aux enfants; grincheuse et renfrognée, elle est ce qu'on devient quand on dit toujours non;

                                     Alors, de mon voyage j'emporte avec moi tous mes oui.

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